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Terrain d'entente / Commun Ground (Projet écrit pour la Triennale d’Inde, 02/2023)

Qu’est ce qui pourrait faire que ce monde d’humain cesse de faire la guerre, de jouer avec les privilèges, de vouloir être le meilleur, le plus fort, le plus tout. Comment cesser cette maladie qui nous ravage, ce désir de tout avoir, de tout être, voire d’être partout. Si je suis partout, si j’ai tout, je suis alors le plus désiré, le plus aimé, le plus fort, le plus admiré, le plus envié. 

Une corde que l’on tire sans cesse pour être reconnu ? Même si l’autre, à côté de moi n’est plus respecté, n'est plus donc mon semblable ? Personne n’y échappe, la compétition fait partie des valeurs inculqués dès l’enfance, l’amour étant sans doute en jeu. Du moins dans les pays qui ont eu accès à ce que l’on appelle le capitalisme. Nous sommes devenus un capital. Un objet pour l’autre. Un objet pour soi. 

Il y a ceux qui s’en plaignent mais ne font que s’y soumettre par besoin de reconnaissance. Il y a ceux qui résistent à devenir un objet, mais alors ne sont-ils rien ? Il y a ceux qui aimeraient bien mais qui ne s’en sentent pas capables. Dilemme. Est-ce cela le désir ? d’écraser, de piller, d’avoir plus ?

Parlant de cordes, cela me fait penser à un dessin réalisé en 2014. La question du pouvoir me trottait dans la tête.

Le dessin représente une corde tirée par deux mains de chaque côté, que j’ai fait lâche, réduite à un saut à l’élastique, saut de l’enfance, donc un jeu. Pas de pouvoir ici : peut-on jouer ainsi ? Les mains sont désaxées. Et la corde, se lâchant, forme un sourire, que j’ai voulu montrer, telle une racine. Le sourire était lâché, est-ce cela notre racine ?  Le désir, une inversion ? 

J’ai par la suite continué à tirer ces racines, comme une histoire personnelle. Comme des cheveux que l’on tire. 

Trouver un terrain d’entente ? Serait-ce dans ce jeu ? Est-ce qu’un torero joue avec son taureau ou est-ce sérieux ? C’est à la vie/à la mort dans tous les cas.

Et c’est la mort à tous les coups. Un jeu de mort. Pas très joyeux. La guerre. Zigouiller le rapport de force. On aime gagner, c’est un fait..

Un jeu, un sourire, un jouir Ou se dire qu’il n’y a ni gagnant, ni perdant. 

Tenir son désir éveillé. Puis le rendre pour avoir autre chose. 

Notre peuple humain est en guerre. Que fait-il ? Il se met du coté qui les arrange ou qu’il trouve le plus juste, pour l’aider. L’aider à se battre et à gagner. Pourtant tuer est un crime contre l’humanité. Tuer une personne est un crime, tuer une ville est un acte de guerre. Là non plus, on ne peut pas discourir, ça fait partie de l’absurdité. 

Y aurait-il d’autres voies possibles à part le grand Écrasement ? Écrasement de la terre, des sols, de l’humains, des animaux, de tout ? Ce semblant de joie ? 

Humaniser ? Rendre l’humain humain. Identité. 

Une humanité commune est peut-être dans ce sourire, qui ne tire pas la corde. 

Le sol, nos racines, nos ancêtres, d’où venons-nous et pourquoi y faire ? 

L’émergence des recours aux tests Adn montre tout de même un besoin de se reconnaitre soi. Tout semble aller vers ce slow control : yoga, culture wake, un besoin d’être au plus près de la nature, câliner les arbres, cultiver ses propres légumes, s’occuper de son bien-être. Au-delà de cette montée de soin de soi, le soin de l’autre n’est plus apparent : on prend soin alors qu’on reconnait l’autre et que l’on en a besoin, non pas de manière utilitaire, mais que l’on reconnait ses qualités. 

Mon travail s’inscrit directement dans cette problématique humaine.

De Nietzche à Rabelais, aux rires de JM Rabaté (Rires au soleil, Rires prodigues) et sa plus-value satirique, mon travail s’essaie à toucher ces interrogations et à en trouver une issue. Une issue serait factice cependant. On a mis au point pour cela la psychanalyse. Si tu souffres, c’est que tu n’as pas touché ton désir. Comment dès lors prendre son pied ? Est-ce cela la solution ? on dirait que cela tourne en rond. 

Dès lors, pas d’issue mais peut-être un entendement. Et peut-être alors autre chose. Quoi ? Impossible de savoir.

Gardiens. De la terre, de l’eau, de nos ressources. Gardiens. Des ressources de la terre qui appartiennent à tous vivants ? Gardiens de soi, de son désir, de ses envies. 

Prendre soin. Aimer. Chérir. Caresser. Adoucir. Faire briller. Polir. Malaxer. Rire. Nettoyer. Ranger. Lustrer. Donner. Offrir. Partager. 

De 2019 à 2020, j’ai conçu une série que j’ai intitulé les guerriers du désir. Warrior Eros. Il s’agit de jambes surmontées d’empreintes d’anciens moules à gâteaux. Le gâteau est un symbole du partage, d’un moment de plaisir qui fait appel à tous les sens mais principalement celui de la bouche. Un art millénaire tout comme la céramique qui servait à la préparation des mets. Avant de devenir un gourmet, elle était une offrande aux dieux pour les protéger des dangers terrestres. 

J’avais trouvé de vieux moules à gâteaux dans des brocantes et je me suis mise à en faire une collection. Puis m’est venue l’idée de les planter en haut de jambes, comme un hymne au désir. 

Dans les guerriers Éros, c’est du banquet de Platon et de l’éros partagé en tant que parole dont je suis partie. J’étais repartie dans une interrogation sur l’amour et sur le désir. 

Dans le banquet, des paroles qui cherchent à comprendre, analyser, percevoir ce que serait l’amour, entre l’exquis, l’amour charnel, la complétude, l’amitié et le jeu, l’admiration, les interdits ou la morale. Platon, moqueur, notamment de l’incomplétude chère à Aristophane, ne prévoit qu’en final du livre, malgré sa définition d’une beauté interne, une orgie alcoolique qui ne dit pas sa fin (ou sa faim). 

Les guerriers Eros sont donc à la fois une satire de nos comportements (la tête coupée) mais aussi un hommage à nos désirs que nous portons tous. 

Les personnages sont attendrissants, semblent inoffensifs, et comme des colonnes dressées, leur désir est sur le bout de leur sacrum.

Vont-ils se manger ou se faire manger ? Y a-t-il quelqu’un pour prendre le repas ou portent-ils leur dessert comme on porte son désir ?

La sculpture mène à diverses interprétations. 

 

Le reste de mon travail artistique est aussi lié à la question du partage, du lien, de l’individualité et du désir, nos lignes-chemins.

L’individualité est importante, elle permet le partage. 

L’art céramique est un art ancien avec ses propres techniques que je me régale de détourner, dévier mais aussi mettre à l’honneur. Une technique inventée en temps immémoriaux afin de survivre mieux et de créer des rituels, des devenirs traditions. J’utilise l’argile comme matière informe, malléable à l’infini.

Comment rendre compte de la nature humaine, d’en rire, afin de se regarder avec humilité et d’ouvrir notre esprit vers plus de conscience de soi ? 

 

Un film à partir de mon travail de céramique est en cours, réflexion sur sa matière : comment s’effrite-t-elle, comment se mouvoir t’elle, comment se cuit-elle, quelle symbolique peut-on lui conférer ?  

Un travail d’animation céramiques à partir de l’Histoire du soldat de Stravinsky. Cette histoire universelle me touche particulièrement car elle met en scène un homme, qui revenant de la guerre, vend son bien le plus précieux, un violoncelle.

Cela fait référence aussi à l’histoire familiale, histoire retrouvée et présente qui me fait faire des ponts dans mes recherches. La guerre, ce malheureux divorce entre soi et soi. 

Il y a des passés à garder, et des présents à comprendre. Il y a des matériaux à comprendre. 

Camille Sabatier

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